Annie Palisot 82 - Libre parcours (Evelyne Cramer)
pratique déjà la céramique. En s’inscrivant aux cours de l'Académie des Beaux-Arts de
Bruxelles, elle poursuit un but précis : créer une sculpture qui ne soit pas simplement
un objet. L'enseignement du maître rencontre son souhait. Qui donc plus que Moeschal
aspire a une sculpture qui, par delà l’individu, s’adresse au groupe, à la société, à
chaque homme avide de fraternité? Dans l’atelier de la rue du Midi, Palisot travaille,
travaille, seule; un peu à l'écart. Moeschal la guide sans hâte dans la quête de la forme
pure.
Un an après sa sortie de l’Académie, Annie Palisot revient dans l’atelier de Moeschal à
la demande de celui—ci, Durant trois ans, elle sera son assistante et mettra son propre
travail en veilleuse, totalement engagée dans sa tâche de pédagogue
En 1967, une première distinction, le Prix Olivetti de sculpture, couronne le travail
de Palisot dans une pièce maîtresse de cette époque, «Dialogue Spatial».
Les volumes, géométriques, sont légèrement « hard edge», les symétries emboîtées se
répartissent harmonieusement en masses pondérées.
Taillées dans la pierre de France ou dans le marbre, ou modelées puis fondues en
bronze, les réalisations de Palisot répondent toutes alors à ces critères de rigueur à
travers lesquels les préceptes de Jacques Moeschal sont encore nettement
perceptibles. Oeuvres sages, disciplinées, d’une abstraction parfois un peu stricte.
Les débuts d’Annie Palisot sont prometteurs, mais, selon elle, la récompense vient
trop tôt et l’encouragement à la création a un effet paradoxal d’arrêt, de pause, de
réflexion.
A la fin des années '60, s’ouvre une période d’intense activité centrée sur le dialogue
avec la matière. L’artiste se familiarise avec les techniques de soudure, abandonne la
pierre de France (trop tendre) et lui préfère les gros éclats de petit-granit.
Après un premier dégrossissement, le doute, les questions, surgissent qui trouvent
leurs réponses dans le travail en gestation. Dans cette étroite relation par masse et
pointe interposées, Annie Palisot collabore, sans projet préalable, avec la pierre qui
résiste avant d’être apprivoisée.
Cette domestication du matériau, Palisot la poursuit: entre autres lieux, aux Avins-en-Condroz, lors des rencontres de sculpteurs qui y ont lieu chaque été. C'est pour elle
l’occasion de sculpter de grandes pièces et de vivre l’expérience, difficile pour cette
solitaire, de concilier son goût du contact avec d’autres artistes et son impérieux
besoin, si pas d’isolement, du moins de recul, de distance face à son travail et celui de
ses compagnons.
L'œuvre gagne en liberté ce qu’elle perd en rigueur. Pas à pas, l‘élève s’éloigne du
maître et conquiert son propre espace.
Les résultats de ces efforts sont lisibles dans "Au temps de la moisson" de 1978 et
de "Ascese et divination" de 1979. Oeuvres compactes, masses imbriquées, leurs
silhouettes ne sont plus anguleuses, mais adoucies, leur épiderme conserve les traces
de l'acte créateur.
Les forces contenues, à l’état embryonnaire, dans ces œuvres. se libèrent dans
deux autres séries de sculptures.
La première est celle de «La paranoïa dans la vie des mollusques» de 1978, et de
«Vie des fruits entre lumière et crépuscule» de la même année. Volontiers élancés, il ne
suffit pas de voir, de regarder de tous côtés ces volumes protéiques en pleine
expansion, mais il faut les percer à jour, y débusquer le vide, le passage, l’espace
intérieur. Les lignes se sont assouplies, les contours, multipliés.
Ces plâtres devraient être coulés en bronze, mais le processus est onéreux et ces
pièces, immaculées, s'imposent à nous dans une pureté presque immatérielle. Les
doigts de l'artiste ont dégagé des plans parfaitement lisses et, délimité sans violence
par des arêtes sinueuses, le jeu des surfaces est mis en valeur par la lumière.
La seconde série de sculptures « libres» mérite quelque explication. Comme nous
l’avons précédemment souligné, depuis plus de vingt ans, Annie Palisot se préoccupe
en effet de travaux de céramique qui lui procurent une détente d'artisan dans son travail
d’artiste sculpteur. Dans le courant des années ’70, elle approfondit cette technique et
réalise de nombreux essais sur la terre-à-grès. Travaillé au colombin, nécessitant une
monocuisson à haute température, les grès relativement peu coûteux supporte très
bien les variations climatiques extérieures. Recouvert d’un fin engobe, il présente,
outre l’avantage d’une surface agréable au toucher, la douceur d’une teinte terreuse
très nuancée.
L'expression d'un bonheur intérieur éclate dans ces dernières œuvres, vivantes,
dynamiques, jamais entièrement mises à nu par l’oeil du spectateur qui ne se contente
plus du regard, mais, physiquement attiré, s‘adonne au plaisir de la caresse.
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